La Cour suprême du Canada a rendu le 27 juin une décision dans la saga Wal-Mart qui aura un impact majeur sur les relations de travail au Québec.
Contexte
En août 2004, le Syndicat des travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 503 (le Syndicat ) est accrédité pour représenter les salariés du magasin Wal-Mart de Jonquière. L’établissement de Jonquière était d’ailleurs le premier magasin de la chaîne à être syndiqué. Dans les mois qui suivent, les parties ont tenu une dizaine de rencontres dans le but de négocier leur première convention collective, mais sans succès. Le Syndicat demande la nomination d’un arbitre le 2 février 2005. Une semaine plus tard, Wal-Mart annonce la fermeture de son établissement prévue pour le 6 mai 2005.
Le 29 avril 2005, Wal-Mart ferme son établissement de façon définitive. Plusieurs actions sont intentées pour contrer cette décision. Au soutien des procédures, il est allégué que la fermeture de l’établissement de Jonquière était motivée par des considérations anti‑syndicales.
Dans la foulée des procédures judiciaires suivant l’annonce de la fermeture du magasin, le Syndicat avait déposé un grief alléguant que le congédiement des employés dans le cadre de la fermeture du magasin constituait une modification de leurs conditions de travail qui contrevenait à l’article 59 du Code du travail (le Code).
En septembre 2009, l’arbitre saisi de la question accueille le grief et conclut qu’un employeur qui procède à la mise à pied de tous ses salariés en fermant son établissement, modifie leurs conditions de travail de façon unilatérale, tel que prohibé par l’art. 59 du Code. Bien que l’arbitre affirme qu’il est possible pour un employeur de fermer son entreprise, il ajoute que l’employeur doit faire la preuve que cette modification s’inscrit dans le « cours normal de ses affaires », afin d’éviter de contrevenir à l’art. 59 du Code.
En octobre 2010, la Cour supérieure rejette la demande de contrôle judiciaire de Wal-Mart et confirme la décision de l’arbitre[1] à l’effet que Wal-Mart n’avait pas réussi à démontrer que la fermeture du magasin s’inscrivait dans le cours normal de ses affaires.
En mai 2012, la Cour d’appel[2] renverse la décision de la Cour supérieure et conclut que la décision de l’arbitre était déraisonnable puisqu’elle avait pour effet de priver l’employeur de son droit de fermer son établissement. De plus, la Cour d’appel note qu’il était impossible de rétablir la situation antérieure en cas de fermeture d’établissement puisque cela reviendrait à forcer l’employeur à continuer à exploiter son entreprise. Le Syndicat a contesté cette décision devant la Cour suprême.
La décision
Dans l’affaire Syndicat des travailleurs et travailleuses de l’alimentation et du commerce, section locale 503 c. Compagnie Wal-Mart du Canada, 2014 CSC 45, la Cour suprême, dans une décision partagée, a accueilli le pourvoi et rétabli la décision de l’arbitre.
La question en litige était de savoir si l’art. 59 du Code pouvait être invoqué pour contester le congédiement de l’ensemble des salariés du magasin. Dans l’affirmative, la Cour devait décider si ces fins d’emplois constituent une modification des conditions de travail prohibée par l’art. 59 du Code.
Le juge Lebel, au nom de la majorité, détermine que la fin d’emploi est une modification à une condition de travail au sens de l’art. 59 du Code en apportant une interprétation large à la notion de condition de travail. Sans nécessairement enlever le pouvoir de l’employeur de gérer son entreprise, la Cour affirme qu’en vertu de l’art. 59 du Code, toute modification aux conditions de travail doit s’effectuer conformément aux pratiques habituelles de gestion de l’employeur. En conséquence, ce dernier « doit continuer à agir comme il le faisait, ou l’aurait fait, avant le dépôt de la requête en accréditation ».
Afin d’éviter qu’une plainte en vertu de l’art. 59 du Code ne soit accueillie, l’employeur doit démontrer que le changement aux conditions de travail s’inscrit dans le cadre de ses pratiques habituelles de gestion. Pour ce faire, le changement doit être cohérent avec les pratiques antérieures de gestion de l’employeur ou, à défaut, conforme à la décision qu’aurait prise un employeur raisonnable placé dans les mêmes circonstances.
En l’espèce, selon la décision de l’arbitre qui a été confirmée par la Cour suprême, on peut conclure qu’un employeur raisonnable n’aurait pas fermé les portes d’un établissement qui « évoluait très bien » et où « les objectifs étaient rencontrés », à tel point que des bonis étaient promis.
La Cour ayant rétabli la décision de l’arbitre, elle devait se pencher sur le remède approprié dans les circonstances. En effet, l’arbitre n’a pas le pouvoir de réintégrer des salariés dans un établissement fermé. Dans ce contexte, la Cour conclut que l’arbitre a le pouvoir d’ordonner une réparation par équivalent, c’est-à-dire l’octroi de dommages-intérêts.
Dans leur dissidence, les juges Rothstein et Wagner affirment que « dès qu’un employeur exerce son droit de fermer boutique, l’art. 59 du Code ne saurait imposer ex post facto une obligation additionnelle de justification, simplement parce que cette fermeture entraîne un effet secondaire –- à savoir le congédiement des salariés ».
En ce qui a trait aux pouvoirs de l’arbitre dans le cadre d’un grief basé sur l’art. 59 du Code, les juges dissidents concluent que l’octroi de dommages-intérêts serait incompatible avec l’objet de l’art. 59 du Code puisque ce remède n’aurait pas pour effet de restaurer l’équilibre entre les parties ou de faciliter la conclusion d’une convention collective.
La décision de la Cour suprême aura un impact important sur les relations de travail au Québec. Elle vient élargir la portée de l’art. 59 du Code et imposer des balises aux employeurs ayant l’intention de fermer leur établissement « à compter du dépôt d’une requête en accréditation et tant que le droit au lock-out ou à la grève n’est pas exercé ou qu’une sentence arbitrale n’est pas intervenue ». En pareilles circonstances, un employeur devra prouver que la fermeture de son établissement s’inscrit dans le cadre de ses pratiques habituelles de gestion ou qu’un employeur placé dans la même situation aurait pris la même décision. De surcroît, cette décision élargit les pouvoirs d’un arbitre de griefs en ce qu’elle ouvre la porte à l’octroi de dommages-intérêts en cas de fermeture d’établissement.
Cette saga est loin d’être terminée puisqu’il reste maintenant la question des remèdes appropriés. En effet, au moment de la fermeture, Wal-Mart avait versé aux salariés du magasin de Jonquière une indemnité de départ d’un montant équivalent à deux semaines de salaire par année de service. Plusieurs questions demeurent en suspens eu égard au remède approprié en l’instance. Comment l’arbitre va s’y prendre pour déterminer la somme additionnelle à octroyer pour réparer le préjudice des salariés? Considérant l’absence de précédent en la matière, il n’est pas impossible que les tribunaux supérieurs aient à se prononcer sur la question dans les prochaines années.
Rédigé par Charles Wagner, Stikeman Elliott LLP.
Reproduit avec permission
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