Il nous arrive souvent des situations en tant que salarié où on est en conflit avec notre employeur. Parfois on peut décider d’appeler notre ami ou d’attendre une séance de thérapie. Cependant, parfois, on décide de ventiler dans les médias sociaux. Ceci pourrait entraîner des conséquences tant pour le salarié que pour l’employeur.
Le salarié se prémunit dans ce cas de sa liberté d’expression qui lui est accordée par la Charte des droits et libertés (la « Charte »). D’un autre côté l’employeur se prémunit de son droit à sa réputation (aussi accordée par la Charte) et affirme également l’obligation de loyauté du salarié.
Bien que le salarié ait un droit de s’exprimer et que le public ait un droit de savoir, l’employeur a un droit de protéger sa réputation s’il voit que ces commentaires ont pour effet d’y nuire. Un recours en diffamation contre le salarié pourrait avoir lieu. C’est là où le bât blesse.
À l’ère des réseaux sociaux, les gens s’expriment plus que jamais publiquement. Environ 80% de la population québécoise utilise les plateformes virtuelles telles que Facebook, Twitter, Instagram, etc.[1]
La question qui tue pour plusieurs personnes, c’est de savoir si leurs commentaires pourraient constituer un cas de diffamation ou non. La réponse donnée le plus souvent par les juristes, c’est : « ça dépend ». Voici la raison d’être de cette réponse que certains trouvent irritantes :
Le législateur n’a pas donné de définition sur la diffamation. Par contre, la jurisprudence a pu élaborer sur cette notion, et ce, à travers différents cas où les salariés ont publié leur propos, dénoncé leur employeur ou partagé leur état d’âme.
La Cour d’appel du Québec énonce que « la diffamation consiste dans la communication de propos ou d’écrits qui font perdre l’estime ou la considération de quelqu’un ou qui, encore, suscitent à son égard des sentiments défavorables ou désagréables »[2]. La Cour suprême du Canada, quant à elle, souligne que « la nature diffamatoire des propos s’analyse selon une norme objective. En d’autres mots, on doit se demander si un citoyen ordinaire estimerait que les propos tenus, pris dans leur ensemble, ont déconsidéré la réputation d’un tiers. Il convient de préciser que des paroles peuvent être diffamatoires par l’idée qu’elles expriment explicitement ou encore par les insinuations qui s’en dégagent ».[3]
Les éléments qu’on peut étudier afin de vérifier si un cas pourrait être un cas diffamatoire, c’est de se demander si la personne a :
- Tenu des propos désagréables à l’égard d’une personne, en les sachant faux. Dans un tel cas, la mauvaise foi est présente, car l’auteur a l’intention de nuire au tiers en question;
- Tenu des propos désagréables à l’égard d’une personne, en ayant en tant que personne raisonnable des doutes sur la véracité de certaines informations, et donc devrait s’abstenir de les diffuser;
- Tenu des propos désagréables à l’égard d’une personne, qui sont vrais, mais dont la diffusion n’est pas justifiée (par l’intérêt public, par exemple).[4]
Plusieurs questions se posent à cet effet, est-ce que les conséquences sont les mêmes pour une personne qui a rédigé le message, que pour celle qui a cliqué sur « aimer » ou la personne qui a rediffusé le message? Certains auteurs sont d’avis que la responsabilité pourrait être la même dans tous les cas.[5]
Quant aux conséquences d’un recours en diffamation, il faudrait s’en remettre aux principes généraux de la responsabilité civile prévus au Code civil du Québec, soit la présence d’une faute (de la part de la personne qui diffuse les commentaires), d’un dommage (de la part de l’employeur) et d’un lien de causalité (entre les 2 premiers éléments).[6]
La jurisprudence retient qu’en acceptant de devenir salariée, la personne renonce quelque peu à sa liberté d’expression quand entre en jeu son lien avec son employeur. «Il en est ainsi pour la liberté d’expression d’une personne salariée. Elle s’arrête là où le devoir de loyauté envers l’employeur commence. [7]
Selon certains auteurs[8], l’obligation de loyauté ne devrait pas prévaloir sur le droit à la liberté d’expression. La liberté d’expression est protégée par la Charte, elle devrait, a priori l’emporter sur l’obligation de loyauté dont l’assise n’est pas de nature constitutionnelle.
Un employeur ne peut interdire à un salarié de publier ses commentaires dans les médias sociaux mais réserve son droit à un recours en diffamation. Ce n’est pas garanti qu’il aurait gain de cause, mais un salarié devrait bien prendre en considération les risques.
Parmi les principes à se rappeler dans ce contexte, c’est que « la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres ».
Cliquez ici pour la version Anglaise du billet de blog.
[1] Site du gouvernement de Québec, Entreprises Québec, mis à jour le 2019-05-07, https://www2.gouv.qc.ca/portail/quebec/marketing?g=marketing&sg=&t=s&e=466576978#:~:text=Au%20Qu%C3%A9bec%2C%20plus%20de%2080%20%25%20de%20la,ou%2C%20de%20fa%C3%A7on%20plus%20g%C3%A9n%C3%A9rale%2C%20avec%20le%20public.
[2] Société Radio-Canada c. Radio Sept-Îles Inc., 1994 CanLII 5883 (QC CA)
[3] Prud’homme c. Prud’homme, 2002 CSC 85 (CanLII), [2002] 4 R.C.S. 663, par. 34.
[4] La diffamation sur les réseaux sociaux, site d’Alepin Gauthier avocats, https://www.alepin.com/fr/publications/publication-generale/la-diffamation-sur-les-reseaux-sociaux, publié le 17 juillet 2019
[5] Loyauté envers son employeur même sur les réseaux sociaux?, article publié par l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux, par Édith Demers, sur le site https://bleu.aptsq.com/loyaute-envers-son-employeur-meme-sur-les-reseaux-sociaux/, publié le 21 février 2019
[6] La diffamation sur les réseaux sociaux, site d’Alepin Gauthier avocats, https://www.alepin.com/fr/publications/publication-generale/la-diffamation-sur-les-reseaux-sociaux, publié le 17 juillet 2019
[8] « La liberté d’expression au travail et l’obligation de loyauté du salarié: plaidoyer pour un espace critique accru », C. Brunelle et M. Samson, Les cahiers de droit, vol. 46, n 4, décembre 2005, p. 844, à la p. 854, cité dans Mes amis facebook, moi et mon emploi : l’arbitrage de grief à l’ère des réseaux sociaux (2012), par Me Benoît-Roy Déry, Conférence des arbitres du Québec, 2012, p. 41
- Quand peu d’effort suffit - January 30, 2023
- A little goes a long way - January 30, 2023
- Une liberté commence, l’autre s’arrête - November 23, 2022